1 Une exposition particulière.
Une exposition particulière. ( Edouard Manet - Mery Laurent)
Pour le Salon de 1876, les envois étaient limités à deux œuvres par artiste. Dès le 2 avril Manet apprit que ses deux envois avaient été refusés à l’unanimité. « Il n’en faut plus. Nous avons donné dix ans à Monsieur Manet pour s’amender ; il ne s’amende pas ; il s’enfonce au contraire ! Refusé ! » « Refusons le ! Qu’il reste seul avec ses tableaux ! »
Dans la Gazette de France, du 4 avril, on pouvait lire : « Arrivé devant la lettre M, a peine ces messieurs ont-ils eu devant les yeux les deux toiles de Manet, qu’un membre du jury improvisa la fable suivante : « Edouard Manet n’à rien, c’est bien facile à voir. Moralité On ne peut pas tout avoir
Mery Laurent était venu voir comme tant d’autres, les tableaux refusés par le Jury de 1876, que Manet exposait dans son atelier. « Le Linge » et le portrait de Marcellin Desboutin, « l’Artiste ».
Marcellin Desboutin
Edouard Manet le Linge
L’événement est raconté par Antonin Proust, ancien camarade de lycée et d’atelier d’Edouard Manet. Antonin Proust fit paraître pour la première fois ses mémoires en 1896 dans la Revue Blanche. « Manet avait organisé une exposition dans son atelier ; une ancienne salle d’escrime, qui occupait tout le dernier étage du 4, rue de Saint-Pétersbourg. Il en appelait au public en faisant, après déclaration à la police, une exposition de ses deux tableaux refusés. Il fit imprimer des invitations, sur lesquelles on pouvait lire :
« Faire vrai Laisser Dire »
M. Manet prie Monsieur …de lui faire l’honneur de venir voir ses tableaux refusés par le Jury de 1876, qui seront exposés dans son atelier, du 15 rue Avril au 1er Mai. De 10h à 5h. 4, rue de Saint-Pétersbourg au rez-de-chaussée. C’était la quinzaine précédant le Salon. Manet convoqua la Presse et la nouvelle, se répandit comme une traînée de poudre dans Paris. Le 16 on pouvait lire dans L’Evènement : « A la nouvelle que Manet ouvrait une exposition particulière dans son atelier, les rapins de la Nouvelle Athènes se sont concertés, et la nuit dernière, ils ont placé au-dessous des fenêtres de son atelier, une grande enseigne qui porte » : « A la concurrence du Jury ». Les invitations ne furent exigées que le premier jour, dès le lendemain l’entrée était libre, on accouru de partout. A l’entrée, dans l’antichambre, on avait disposé de grandes feuilles afin que les visiteurs puissent librement faire part de leurs observations ou bien simplement signaler leur visite en signant. « Le public est venu, et même avec empressement. Hier encore, quatre cent personnes ont visité l’atelier de la rue Saint-Pétersbourg. La tentative de Monsieur Manet a donc pleinement réussi ; elle motivera les avis les plus contradictoires et les plus passionnés. » Alexandre Pothey, dans La Presse du 25 avril. L’exposition de Manet correspondait avec la seconde exposition des « Impressionnistes ». Dix neuf exposants, d’une nouvelle peinture. L’atelier était doté quatre fenêtres, qui donnaient sur la place de l’Europe et la rue Mosnier (aujourd’hui, la rue de Berne).
Le jury avait refusé « Le Linge » et le portrait de Marcellin Desboutin. Un tableau de 1m 93 x 1m 30. Pour lequel Manet avait beaucoup tâtonné avant de fixer l’attitude de ce grand seigneur bohémien. Desboutin y est représenté debout, de face au premier plan, coiffé d’un feutre incliné sur le coté droit, les cheveux blonds sel en bataille. Une cravate blanche nouée autour du cou. Habit de velours bleu nuit, il bourre sa pipe en fixant le spectateur, sous le bras gauche courbé il tient une canne. Derrière lui son grand chien roux, qui lape le contenu d’un verre placé sur le sol. Desboutin, de dix ans l’aîné d’Edouard. Rencontré au café Guerbois et que l’on pouvait rencontrer maintenant, tous les après midi a la terrasse du café de la Nouvelle Athènes, attablé avec Edouard Manet. C’est Manet qui fit découvrir le café Guerbois à ses amis. Le café Guerbois était situé à coté du marchand de couleurs Hennequin, Gilbert Marcellin Desboutin, apparenté aux Rochefort par sa mère, pur esprit de l’école des Batignolles, posait la même année pour « l’Absinthe » de Degas avec l’actrice Ellen Andrée. Il était né en 1823 et vivait une bohème distinguée digne de son rang. Marcellin Desboutin était un grand seigneur, Issu d’une famille aristocratique fortunée, ruiné par des spéculations boursières. Tout d’abord destiné comme Manet à des études de droit. Sa licence de droit en poche, il entra dans l’atelier du sculpteur Etex à l’école des Beaux-arts en 1845. Puis il passa deux années chez Couture. Il était peintre, graveur, poète. Grâce a une somme d’argent que sa mère lui laissa, il entreprit une série de voyages qui le menèrent en Toscane, à Florence, où il s’installa dès 1857, jusqu’en 1870. Dans une somptueuse propriété, l’Ombrellino, où il vécut du commerce de peintures anciennes. Il y recevait largement ses amis parisiens.
Lors de son retour, il passa la commune avec les réfugiés, à Genève, il pensa tout d’abord pouvoir y gagner sa vie, et fut bien vite déçu par la réalité. Les Genevois émerveillés par dextérité du peintre, admiraient ses portraits enlevés en deux, trois séances, sans toutefois les lui acheter. Il avait loué pour trois cents francs, dans la maison Bellami au Pré-l’Evêque, un vaste appartement de pièces en enfilade où sa famille logeait à l’aise. Sur les conseils de Nina et de ses amis, il avait ouvert un atelier au bord du lac, près de la Promenade ou le Tout-Genève défilait. A la même époque un ami de Courbet, Pia, avait ouvert rue du Mont-Blanc, la Première galerie de tableaux où pour quelques billets de cent francs on pouvait acheter des Manet, des Millet, des Courbet, des Delacroix et des Corot. Le malheureux Pia dû bientôt fermer boutique. Desboutin, les exilés et les grands seigneurs de la proscription fréquentait avec plaisir la belle Nina, dont il fera plus tard une pointe sèche devenue aujourd’hui d’une insigne rareté. Nina et sa mère encouragèrent le grand artiste.
Il quitta Genève en juillet 1872 S’installa à paris, puis exposa pour la première fois au salon de 1873 puis au Salon de 1875 et de 1876.
Il fréquentait le Café Guerbois, puis la nouvelle Athènes, associé au mouvement des impressionnistes il participa a leur seconde exposition. Bien qu’il peigne des portraits et des scènes de genre style néo-baroque plutôt sombre. L’autre tableau refusé était « Le Linge » (1m.45 x 1m.15) : A droite, debout contre le bord vertical de la toile une jeune femme, de trois quart vers la gauche, tord une pièce de linge au-dessus du baquet à hanse placé sur une chaise. Elle est coiffée d’un chapeau de campagne à la « Niniche », orné d’un ruban, vêtue de bleu, corsage aux manches a jabots et robe pouf. Le Linge a-t-il été inspiré par l’histoire de Mery, elle-même la fille naturelle d’une lingère, au service du Maréchal Canrobert, Gouverneur de la ville de Nancy, c’est possible. Alors que l’exposition battait son plein, Mery était entrée dans l’atelier d’Edouard Manet, au bras de Alphonse Hirsh, un peintre qui n’était pas de l’école des Batignolles mais qui pourtant en avait toutes les qualités,une grande amitié le liait au groupe et à Manet. Le tableau « Le Linge » avait été peint dans son minuscule jardinet, 58, rue de Rome, qu’il avait mis à la disposition du peintre. Lorsque la jeune femme s’arrêta devant “ Le linge “ elle s’écria : « Mais c’est très bien cela ! »
Mery Laurent
Manet, qui écoutait, caché derrière le rideau d’une soupente, sorti ravi et resta, les larmes aux yeux, bouche bée devant la beauté de son admiratrice. Se ressaisissant il lui demanda : « Mais qui êtes-vous donc, Madame, pour trouver bien ce qu tout le monde trouve mal ? » Puis il rajouta pour faire passer cet instant de vive émotion.
Mery Laurent
« Voyez-vous, cela c’est la vraie vérité. On sent courir l’air autour de la femme et de cet enfant. Mais je vais vous montrer quelque chose. Il alla chercher un portrait de l’avocat de Jouy. « On croirait l’entendre gueuler, n’est ce pas ? Pardonnez-moi l’expression. Mais un avocat il faut que ça gueule. C’est un métier à ces gens là. Le nôtre c’est de les reproduire. Ah ! C’est rudement difficile de rendre une toile intéressante avec un seul bonhomme. Il ne faut pas seulement faire le portrait. Il y a le fond qui ne doit être souple, vivant, car le fond vit. Si le fond est opaque il est, mort, plus rien.» « Ce qui a toujours fait mon désespoir, ce sont les musées. » Pendant les huit jours qui suivirent cette visite, il ne parla que de cela ! … On avait calomnié l’époque, il y avait des femmes qui savaient, qui comprenaient… Bien entendu, Mery revint. Proust Cependant, il semblerait que les souvenirs d’Antonin Proust ne soient pas fiables, puisque le portrait de l’avocat de Jouy, a été peint trois ans plus tard en 1879. A-t-il romancé l’histoire ? Ses souvenirs n’étaient ils plus tout à fait exactes ? En fait, il est fort possible qu’Edouard Manet et Mery Laurent, se connaissaient déjà en 1876 et que tout ceci n’avait été qu’une mise en scène, pour permettre au trio Manet, Mallarmé, Mery, de se voire en toute légalité. Depuis 1872, Manet s’était installé au 4, rue de Saint-Pétersbourg, dans une ancienne salle d’escrime, transformée en un vaste atelier. Alors que Mery Laurent et Mallarmé, cohabitaient au 29 rue de Moscou, entre 1872 et 1875, une rue voisine de quelques dizaines de mètres de la rue de Saint-Pétersbourg. A la rue de Moscou, Mery Laurent vivait au premier étage, sur le même palier, que le cabinet dentaire de son nouveau protecteur et amant. Le richissime Docteur Evans. Le Docteur Evans, pouvait ainsi déjeuner tous les jours avec sa maîtresse, sans éveiller les soupçons de sa femme et en conservant sa réputation intact. Mallarmé, sa femme et sa fille et son fils, vivaient modestement au quatrième étage. On sait qu’aussitôt qu’il la vit (Mallarmé), il tomba amoureux d’elle (Mery) comme un collégien. Il est donc fort probable que l’amitié qui lia Mallarmé à sa belle rose thé pour plus de vingt ans, prit naissance dans l’escalier du 29 rue de Moscou et que Mallarmé, a pu présenter Mery à Manet, bien plus tôt qu’on nous l’a laissé croire.